Les 20 ans de Disneyland Paris, ou le Mickey d’Orsay !

En plus d’un formidable jeu de mot, un étudiant de Sciences Po Toulouse, rédacteur d’un blog dédié aux questions de diplomatie d’influence, nous propose une analyse originale du soft power de Walt.

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Disneyland Paris fête ses 20 ans. 20 ans c’est le plus bel âge de la vie, le moment de tous les possibles où on sort de l’adolescence et on se projette vers sa vie future et construite. C’est un peu le cas de Disneyland Paris qui a mis du temps avant d’être bénéficiaire mais qui fait maintenant partie intégrante du tourisme parisien et français.

 Ainsi la Délégation Interministérielle au Projet Disney (sic) souligne ((http://corporate.disneylandparis.fr/CORP/FR/Neutral/Images/fr-2012-03-14-bilan-20-ans-retombees-economiques-sociales.pdf)) :

« La contribution croissante de ce pôle à l’attractivité touristique de la France, à la production de valeur ajoutée pour son économie, à la création d’emplois, et au rééquilibrage de l’Île-de-France vers l’Est. »

Ci-dessous une infographie tirée de cette étude avec des chiffres éloquents.

Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant l’impact économique, mais l’optique de diplomatie d’influence et de « soft power ». Aussi nous allons voir comment l’entreprise Disney, d’abord par ses films, ensuite par ses parcs à thèmes participe au soft power américain.

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Disney, c’est l’histoire de Ta vie

Le cinéma est un vecteur traditionnel de transmission de la culture d’un pays. Disney ne déroge pas à la règle. Il faut d’abord rappeler ici que Walt Disney a toujours été très patriote. Ainsi durant la Seconde Guerre Mondiale Neslon Rockefeller qui dirige le département d’Etat lui demande d’aller représenter les USA en Amérique Latine afin de « lutter contre le nazisme ». ((Disney A to Z: The Updated Official Encyclopedia, Dave Smith, 1998)) Notre ami Walt devenu très patriote soutiendra ainsi le Maccarthisme du nom de ce sénateur qui joua sur la peur du communisme début des 50’s aux Etats-Unis et déclencha une vraie chasse aux sorcières. A ce titre, ne peut-on pas voir dans le Capitaine Crochet de Peter Pan, sorti en 1953, une image de ce communiste tant craint : un pirate avec une cape rouge et dont le crochet rappelle par métonymie la faucille…En tout cas le timing est troublant. En outre, on retrouve dans ce film l’idée première du rêve américain, le « quant on veut on peut », que Nike traduira par « Just do it », qui permet à Peter Pan et à ses amis de s’envoler :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=D9WrrdvccSk[/youtube]

Chez Disney, on passe de pauvre enfant à princesse, de bête à prince, et de zéro en héros :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=LeYM6sRdERQ[/youtube]

L’American dream, celui d’une terre des infinies possibilités et du self made man qui croit en ses rêves et en sa chance se perpétue à travers les films de Disney. Le rêve des américains se confond petit à petit avec le rêve américain dans un certain syncrétisme cinématographique.

En outre, on retrouve d’autres éléments de la société américaine. Ainsi les femmes ont été pendant longtemps cantonné à ce rôle de desperate housewives attendant leur prince charmant pour qu’il la sauve/réveille/marie…La religion est également très présente dans les films de Disney.

En somme, il existe une réelle dialectique où Disney est porteur de la culture américaine qu’il façonne en même temps.

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Les parcs Disney, quand le rêve devient (hyper)réalité

La notion d’hyper réalisation recouvre « l’ensemble des processus de création des espaces à partir de représentations qui coupent le lien direct qu’entretiennent l’espace réel et sa représentation » ((Crozat Dominique, « Violence en espaces hyper réels », Annales de géographie, 2009/5 n° 669, p. 478-497.))  La nature du monde hyper-réel se caractérise par une amélioration de la réalité.

Umberto Eco ou encore Baudrillard prendront l’exemple de Disneyland pour expliquer et imager ce concept d’hyper réalité.

Umberto Eco explique ainsi que l’ordre imaginaire de Disneyland est opposé au reste du monde, réputé réel, mais, en fait, l’Amérique toute entière et le monde, sont la simulation hyper réelle. « Ce n’est plus une question de fausse représentation de la réalité, mais de dissimulation du fait que le réel n’est plus réel… ». On pourrait résumer l’hypperréalité par cette expression d’Eco qui dit que c’est « Le faux authentique » ((Umberto ECO, La guerre du faux, Paris Grasset/Le Livre de Poche, « biblio essais », 1985)).

Afin de ne pas trop accabler les américains et Disney, on peut prendre un autre exemple de parc à thème avec le Parc Astérix. Le personnage d’Astérix et tout ce qui est vécu dans le parc éponyme a remplacé Vercingétorix dans l’esprit des Français comme l’explique extrêmement bien Laureline Karaboudjan ((http://blog.slate.fr/des-bulles-carrees/2012/03/27/nous-ne-chavons-pas-ou-chest-alegia/)).

Par ailleurs, on peut également mentionner le fait qu’il sera maintenant possible de se marier dans le Disney de Tokyo ((http://www.lepetitjournal.com/tokyo/en-bref-tokyo/100466-insolite–disneyland-tokyo-va-autoriser-les-mariages-au-chateau-de-cendrillon.html)), devenir ainsi une vraie princesse…

De plus, l’exemple de Roger Rabbit où humains et toons vivent dans le même monde permet en définitif d’imager cette notion :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=yy5THitqPBw[/youtube]

 « L’espoir d’être une source de joie »

Walt Disney ouvre son premier « Disneyland » en 1955 dans la banlieue de Los Angeles. Dans la plaquette de présentation, il était écrit : « A tous ceux qui pénètrent dans cet endroit enchanté – bienvenue. Disneyland est votre pays. Ici, les anciens revivent les souvenirs plaisants du passé et ici, les jeunes peuvent goûter aux défis et aux promesses du futur. Disneyland est dédié aux idéaux, aux rêves et aux événements indiscutables qui ont créé l’Amérique… avec l’espoir d’être une source de joie et d’inspiration pour le monde entier ».

On note bien ici cette volonté d’exporter cette « source de joie ». C’est également une manière d’ancrer un peu plus ce rêve américain dans la réalité physique des gens. Ainsi Louis Marin explique ((Louis Marin, Utopiques : jeux d’espaces, Les Editions de Minuit, Paris, 1973.)) que :

« Le visiteur de Disney est dans la position du récitant cérémoniel du récit mythique des origines antagoniques de la société. Il en mime les contradictions dans le présent de sa visite et sa gesticulation rituelle, qui le conduit de la caverne des pirates au sous-marin atomique, du palais de la Belle au bois dormant à la fusée spatiale, et par laquelle il renverse, dans le jeu, les déterminismes de la vie quotidienne pour les réaffirmer, légitimés et justifiés, par son geste instaurateur ; sa promenade est le récit mille fois renouvelé de l’harmonisation leurrante des contraires, la solution fictive de leur tension conflictuelle. »

 Il conclut en expliquant qu’en «  “performant” l’utopie de Disney, le visiteur “réalise” l’idéologie de la classe dominante comme le récit mythique instaurateur de la société dans laquelle il vit. »

 Si on met de côté la dimension de « classe contre classe », on note bien ici que l’hyper réalisation devient une performance de chacun où la réalité est courbée. On rentre donc bien dans une perspective de soft power où il s’agit de contrôler ou du moins d’influencer la réalité de l’autre.

 

Mulan, le Disney ? Non le film.

En 1998, Disney sort Mulan qui reprend la légende chinoise de Huan Mulan. La version « américaine » de cette légende n’a pas vraiment plu aux chinois qui n’ont pas apprécié les libertés prises par la firme de Mickey. Aussi en 2009, une production chinoise sort un film pour réhabiliter la véritable histoire. Il était important, dans une optique de soft power, que la Chine se réapproprie sa propre légende. Le People’s daily de declarer à propos du film:

 « Zhao Wei (actrice principale) has done perfectly from the ancient poem to motion picture. ».

Voilà la bande d’annonce du film, bien loin du dessin animé, à vous de juger :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=aDjjFqGrHbA[/youtube]

Cet épisode de Mulan pourrait être anodin s’il n’est pas mis en regard de deux éléments : les dernières déclarations de Hu Jintao dans le numéro de janvier de la revue théorique du Parti communiste chinois (PCC) Qiu Shi (« rechercher la vérité ») et la construction d’un deuxième Disneyland à Shanghai, après celui ouvert à Hong Kong en 2005.

Le choix de la ville de Shanghai est intéressant. Shanghai a accueilli l’Exposition Universelle en 2010, symbole d’un soft power chinois exacerbé qui montre à la face du monde ses réalisations et sa puissance. Pour l’anecdote, les bâtiments étrangers avaient une hauteur limite à ne pas dépasser afin de permettre au pavillon chinois de surplomber tous les pays…

Pavillon Chinois à l'Exposition Universelle de ShanghaÏ

Cette exposition se déroulait sur le Pudong, la rive droite de Shanghai, la plus moderne celle que d’aucuns appellent « le Manhattan de Shanghai ». Ainsi, dans une perspective de raconter la réalité et de dominer cette réalité à travers un soft power, l’emplacement du futur Disneyland sur le Pudong est un message fort de la diplomatie d’influence américaine. Hu Jintao ne s’y est pas trompé et celui qui va bientôt laisser sa place à la tête de l’Etat au profit de Xi Jinping, explique ainsi que :

 « Les forces internationales hostiles redoublent d’efforts pour nous occidentaliser et nous diviser »

Il rajoute ensuite qu’il faut : « Répondre à la demande croissante de la population sur le plan spirituel et culturel ». Et de conclure que « La puissance culturelle de notre pays et son influence ne correspondent pas encore à sa place internationale. » ((http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/01/05/pekin-denonce-les-forces-hostiles-de-l-occident-qui-menacent-sa-culture_1626180_3216.html))

 A quand l’ouverture d’un Disneyland à Pékin ?

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Du soft power jusque dans la culture d’entreprise

Dans la mesure où la diplomatie d’influence consiste à influencer la réalité de l’autre pour la rendre semblable à la sienne, il n’est pas étonnant que le premier parc Disney qui ouvre en dehors des USA ait été en France, le pays le plus visité au monde.

En outre, il est intéressant de noter qu’outre sa culture du rêve américain, la gestion des ressources humaines (GRH) de Disney est très américaine.  C’est également une dimension du soft power. Ainsi, dans un modèle de gouvernance assez poussé où la GRH est moins « top-down » mais plus aplanie, les possibilités d’évolution sont multiples. Ainsi on peut prendre l’exemple de Katy Harris cette Anglaise, qui fit ses premiers pas en 1993 comme danseuse du spectacle La Belle et la Bête, et qui est maintenant depuis un an aux manettes de Disney Dreams, un grand show ((http://www.lefigaro.fr/societes/2012/03/22/20005-20120322ARTFIG00854-disneyland-paris-souffle-ses-20-bougies.php)). En outre Disneyland a participé à l’introduction de concepts très américains comme le fait d’être « corporate », soit en français, d’intégrer un éthos de son entreprise pour mieux la défendre. Lors des recrutements des futurs employés des parcs, le mot d’ordre est « La Magie c’est Vous! ». ((Sébastien Roffat, Disney et la France : les vingt ans d’Euro Disneyland, p.187.))

Le monde est petit

Pour ceux qui ont eu la chance d’aller à Disneyland (parce qu’on critique mais c’est quand même bien marrant), vous avez dû faire l’attraction « le monde est petit ». C’est peut-être l’attraction qui résume le mieux cet article. Dans un seul et même endroit, une musique joyeuse enferme le monde dans une confrérie sympathique joyeuse et statique. Les Français font du french Cancan, les irlandais sont des lutins, les anglais sont dans un bus rouge etc. Tout va bien dans le meilleur des mondes, un monde en papier mâché et prémâché par le soft power américain.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=FY6CYfIQCos[/youtube]

Pour conclure et pour terminer sur une anecdote intéressante, le premier Space Mountain construit dans le premier Disney en 1974 a été possible grâce à l’achat…d’une rampe de lancement d’un porte-avion américain. Ce mode de catapultage a été gardé pour les autres Space Mountain. L’image est trop belle pour ne pas être utilisée : alors que le soft power –cette capacité d’influence douce- s’oppose au hard power –le pouvoir par la force, notamment l’armée -, en étant projeté dans space mountain c’est en quelque sorte la synthèse du hard et du soft power américain que vous expérimentez !

Après avoir déconstruit l’influence de Disney, on dit quand même bon anniversaire à Disneyland, et surtout on n’oublie pas qu’il en faut peu pour être heureux :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=QprXlfVkpH4[/youtube]

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Renaud Voisin – Sciences Po Toulouse.



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