Levée de rideau sur l’Allemagne

Juggling on the Berlin Well

Den 3. Oktober 2010 : der Tag der deutschen Einheit, vingtième anniversaire de la réunification  et fête nationale allemande. L’ambiance devant le Reichstag et la porte de Brandebourg ce dimanche n’était cependant pas celle à laquelle je m’attendais. L’union d’un peuple et d’une nation, pourtant tant souhaitée ne semble pas provoquer un engouement particulier chez les allemands. Les quelques concerts et danses d’enfants de l’après-midi n’ont pas réussi à masquer le caractère commercial, presque artificiel, de l’évènement. Le géant américain Coca-Cola s’était même offert un très joli « Coca Cola präsentiert den Tag der deutschen Einheit » (Coca-cola présente l’anniversaire de la réunification allemande). Magnifique symbole pour les 20 ans de l’unité d’un pays.

Cérémonie qui semblait refléter l’impression générale de la foule : la frustration.

18h environ : début de la cérémonie. Une scène installée devant le Reichstag. Deux tribunes officielles. Et un show décevant… Les intervenants eux-mêmes ne semblent pas croire ce qu’ils disaient. J’ai trouvé la présentation lisse et ridicule. Le discours du président du Bundestag (parlement allemand), très court, n’était pas d’un niveau bien supérieur. Quelques lieux communs sur les bienfaits de la liberté, de l’unité et de la solidarité. Point final. Un chant, un ballet sans aucun lien avec le contexte et un hymne à aucun moment repris par la foule précèdent le feu d’artifice de clôture. Un jeu de son et lumière de quelques minutes termine une cérémonie qui n’aura duré qu’une petite heure. Cérémonie qui semblait refléter l’impression générale de la foule : la frustration.

Au-delà du ressenti…

Il ne s’agit pas de détruire la réunification allemande, bénéfique à bien des égards. A contre courant de la tendance séparatiste de l’époque ; deux sociétés très différentes, certes issues de la même nation, se sont retrouvées en 1990. Réunir, au sein d’une même entité étatique deux populations qui ont évoluées dans des systèmes différents en tout point, n’était pas une évidence en soi. Historiquement, la réunification mérite d’être saluée.

Mais sur la mise en place effective de l’unité allemande et sur ses résultats ; le débat demeure extrêmement présent sur le territoire allemand. Politiquement, cela continue d’ailleurs d’être un thème essentiel. Mardi dernier, sur le plateau de RBB TV (Radio Berlin Brandebourg), sur lequel j’ai eu l’occasion de me rendre, débattaient plusieurs acteurs importants de la vie politique allemande, comme le vice-président du Bundestag ou des professeurs reconnus de sciences politiques. Débat parfois houleux où certains participants semblaient prendre la défense de leurs anciens Etats… Les bienfaits économiques de la réunification ont toutefois été soulignés. Quoi que l’on puisse dire, l’ex-Allemagne de l’est rattrape petit à petit son retard sur l’ex-Allemagne de l’ouest, retard du à un système économique non viable à la dérive. Les infrastructures de qualité se font de plus en plus nombreuses dans les Länder (Etats fédérés) qui constituaient jadis la République Démocratique Allemande.

Un salaire est-allemand en 1990 correspondait à 50% d’un salaire ouest-allemand, contre 80% aujourd’hui.

Mais ce rattrapage suscite lui aussi des interrogations bien ressenties lors du débat télévisé.  Les allemands de l’ouest (politiques et citoyens) ont le sentiment de payer la facture héritée de la faillite d’un système névrosé. Sentiment renforcé par les abus de ces dernières années dans les villes ex-allemandes de l’Est. Certaines municipalités n’ont pas hésité à construire plusieurs centres aquatiques d’une taille respectable dans un périmètre relativement restreint… Pour ce qui est des salaires, l’égalité n’est pas assurée entre les  ex-employés de l’est et de l’ouest. Mais la correction est en cours. Un salaire est-allemand en 1990 correspondait à 50% d’un salaire ouest-allemand, contre 80% aujourd’hui.

Au cœur du débat : la suppression des anciennes structures de l’est, la fermeture des usines etc. Deux thèses s’affrontent. La première consiste à dire que l’ouest a diabolisé avec condescendance tout ce qui venait de l’est, faisant table rase du passé et supprimant tout ce qui correspondait au système déchu de la République Démocratique Allemande (RDA). La seconde explique que les institutions n’étaient pas adaptables et n’avaient pas la légitimité démocratique pour être pérennisées.

Que pense le peuple allemand de ces questions ? Pour garantir l’unité d’un pays, c’est en fait la (re)création d’un sentiment d’union nationale, de vivre ensemble, qu’il faut réussir.

Une adhésion des cœurs non aboutie…

En creusant encore un peu la question et en échangeant avec des allemands, j’ai vite compris le fondement du sentiment étrange qui m’avait envahi devant le Reichstag, ce dimanche 3 Octobre. C’est vraisemblablement du peuple et des mentalités que viennent les plus gros malaises et ambigüités à l’égard de l’union allemande. Dans la tête de bon nombre d’allemands, il n’y a jamais eu de réunification… En effet, derrière le vocabulaire politique de façade qui emploie constamment le terme de Wiedervereinigung (réunification), il faut en fait lire le terme de Beitritt (adhésion). L’Allemagne de l’est a adhéré à l’Allemagne de l’ouest qui l’a engloutie. Et ce à tout niveau.

L’environnement culturel, économique, social qui avait constitué le quotidien de millions d’allemands avait été réduit à néant

Sur le plan juridique, pas de nouvelle constitution mais un simple article ajouté au texte existant… Aux yeux des anciens citoyens de la RDA, tout ce qui venait de l’est a été défini comme inefficient, à éradiquer. L’intégralité des firmes est-allemandes ont été fermées, plongeant des milliers de personnes dans la tourmente du chômage. Tout ce qui fonctionnait à l’est a été supprimé. Plus de polyclinique, plus de crèches, plus d’écoles l’après-midi etc. En clair, en 1991, il était impossible pour un allemand de l’est de trouver dans un magasin les produits qui avaient constitué son alimentation pendant 20 ans… Tout a changé du tout au tout, et ce en moins de deux ans. L’environnement culturel, économique, social qui avait constitué le quotidien de millions d’allemands avait été réduit à néant, humiliant par la même une frange de la population. Le peuple de la RDA a été souvent assimilé à son gouvernement (voire à la Stasi). Amalgame facile mais erroné, surtout dans un pays d’un tel niveau démocratique… Comment ne pas voir apparaitre un phénomène de nostalgie (appelé ostalgie en Allemagne) ?

Et vis-à-vis des Ossis (surnom donnés aux allemands de l’est) installés dans l’ancienne Allemagne de l’ouest, les plaisanteries des Wessis (surnom donné aux allemands de l’ouest)  vont bon train. Et cela n’est pas que des on-dit ; j’ai eu l’occasion de discuter avec des étudiants originaires de l’est ayant vécu à l’ouest. Leur agacement à ce sujet est bien réel… Lors de l’émission de télé de mardi, les journalistes ont montré des images d’interviews de badauds berlinois auxquels on posait des questions sur les différences entre les berlinois de l’est et de l’ouest. Les pics et allusions au caractère ringard de l’est étaient extrêmement nombreux.

Dans les médias : une inondation à Stuttgart est une inondation à Stuttgart. Mais une inondation à Dresde est une inondation en Allemagne de l’Est. Nième preuve que si le rideau de fer n’est pas bien loin.

Mais l’animosité de certains berlinois de l’ouest, à peine né en 1990, à l’égard de l’ex- Berlin-Est dans son ensemble apporte une dimension supplémentaire au problème. Là encore je n’invente rien. En discutant avec des allemands rencontrés dans le U-Bahn (métro berlinois) des endroits sympas à fréquenter à Berlin, j’ai vite compris qu’ils ne se déplaçaient quasiment jamais dans l’ancien Berlin-Est ; « à l’Est, il n’y a que des russes et des nazis ». Il ne s’agit donc pas uniquement de ressentiments fondés sur un vécu passé souvent comparé à un vécu présent mais de rancœurs construites sur des idées préconçues véhiculées par on ne sait quel média ou groupe de référence. D´ailleurs je vous conseille vivement de vous réserver un petit hôtel à Berlin et visiter cette capitale !Penser (enfin) l’Allemagne comme un tout.

On lui demandait toujours si elle venait de Berlin-Est ou Ouest. « J’habite à Berlin-Nord. »

Une téléspectatrice berlinoise racontait pendant le show TV que quand elle se rendait à Münich, on lui demandait si elle venait de Berlin-Est ou Ouest. Elle répond toujours : « j’habite à Berlin-Nord ». Voici peut-être la meilleure réponse à apporter à ce type de questions, encore trop nombreuses.

A mon sens, il faudrait que les citoyens passent outre les quelques ratés de la réunification et cessent de rejeter la responsabilité sur les anciens de l’ouest ou les anciens de l’est. Si le rideau de fer est tombé il y a 20 ans maintenant, il reste encore très présent dans les esprits. Les erreurs commises pendant la réunification de 1989-1991 empêchent le peuple germanique de savourer pleinement l’unité du pays. Mais des corrections peuvent encore être apportées. Corrections qui ne pourront cependant pas à elles seules abattre les barrières. Il faut penser l’Allemagne comme un tout mais surtout que les allemands pensent leur pays comme un tout et ce malgré les erreurs d’antan…

Martin Della Chiesa, 3A Sciences Po Strasbourg, Université libre de Berlin. ((L’opinion développée n’engage que son auteur et non pas la rédaction.))



7 commentaires

  1. Southern Cross dit :

    « J’aime tellement l’Allemagne que je suis heureux qu’il y en ait deux. » François Mauriac (ou Malraux selon certains)

    En ce qui me concerne, je pense que la réunification a eu quelques succès, malgré les bourdes qui l’ont jalonnée, telle la décision très peu éclairée d’Helmut Kohl d’introduire un régime de change artificiellement fort entre les monnaies des deux Etats. Cependant, l’Allemagne de l’Est est indéniablement allemande ; berceau de la culture allemande même, comme ne pas penser au joyau baroque qu’était Dresde avant d’être réduite par les bombes alliées ? Si il y a encore quelques nostalgiques, proposons leur un séjour en Corée du Nord pour qu’ils se souviennent du bon vieux temps où la Stasi faisait sa loi. Si seulement l’Allemagne pouvait avoir les mêmes considérations pour le reste de l’UE, tandis qu’elle continue sur la voie de l’impérialisme monétaire…

  2. Martin dit :

    Bien sur il y a des points positifs comme je l’explique.

    C’est incroyable comme tu ramènes tout à l’économie et à l’euro. Celà devient presque une obsession…

  3. Southern Cross dit :

    Nécessairement, comme l’Allemagne a le pouvoir sur l’économie de mon pays.

    Sérieusement, j’ai lancé une petite pique à la fin, mais tu ne peux pas me reprocher d’être hors sujet. Je pense que c’est un peu surfait tout cela, les Allemands devraient apprendre à regarder vers le futur au lieu de toujours geindre sur leur passé, ce qui devient rapidement ennuyeux.

  4. Florent dit :

    Le futur, ils le regardent. Une page d’histoire se tourne, depuis le début de la décennie, en terme de politique internationale. L’État post-national est un rêve désormais bien enterré. Depuis M. Schröder et Mme Merkel, c’est le retour de la Realpolitik.


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